Critique réalisée dans le cadre du Campus Critique lors de la 52e édition du FNC (disponible aussi en ligne)
Un désert blanc mystérieux. Au loin, une cavalière habillée de noir fend le paysage et dévale de la dune. Elle traverse un champ d’épouvantails jusqu’à atteindre un lac. Elle descend alors de sa monture et découvre son sein. Un étrange liquide violet s’écoule de celui-ci et tombe goutte à goutte dans le lac. Le lait violacé teinte l’eau. Bénédiction ou malédiction ? Nous voilà plongés dans l’univers onirique d’Augure, le premier long métrage de l’artiste belgo-congolais Baloji Tshiani. Après cette première scène mystérieuse, le film se déplace vers un récit aux apparences plus classiques. On y découvre Koffi et sa femme, Alice, dans leur appartement en France. Le couple s’apprête à rejoindre le Congo pour y retrouver la famille de Koffi et ainsi lui remettre la dot qui scellera symboliquement leur union. L’occasion pour Koffi de renouer les liens avec sa famille qu’il n’a pas vue depuis longtemps. Le souci ? Il est considéré comme sorcier pour avoir fait saigner le sein de sa mère lorsqu’il n’était encore qu’un bébé. Ce voyage dans son pays natal est donc également celui de sa rédemption au cœur d’une culture aux racines profondes avec laquelle il a du mal à composer.
Divisé en quatre chapitres, Augure traite des traditions spirituelles par le récit de quatre personnages maudits, dont celui de Koffi. Chacun d’entre eux a été victime d’un mauvais présage, le condamnant à être perçu comme un sorcier ou une sorcière par sa communauté. On aurait pu le deviner par le titre, Augure, qui désigne la prémonition formulée par les prêtres et son interprétation. À peine arrivé au Congo, Koffi est victime de ce mauvais augure. Quelques gouttes de sang qui s’échappent de son nez sur un bébé de sa famille, et le voilà à nouveau maudit. Koffi se retrouve sévèrement puni sous le regard effrayé et impuissant d’Alice.
Malgré un récit de prime abord sombre, Augure réussit à nous envoûter en grande partie grâce à son esthétisme assumé aux influences surréalistes. L’œil artistique du réalisateur sert tout le propos du film qui joue constamment entre réalité et onirisme. Chaque scène est minutieusement composée. La multiplicité des couleurs, des plans, ou encore des personnages réussit à créer une harmonie au sein d’un Congo animé et vivant.
Les personnages d’Augure explorent différentes expériences de rapport au monde spirituel. Pour les incarner, Baloji fait souvent appel aux flash-back et aux hallucinations. Des scènes mystérieuses entrecoupent régulièrement les récits au point de nous perdre en déployant une histoire à mi-chemin entre rêve et réalité. Les expériences spirituelles n’ont pas les mêmes fonctions. Certaines peuvent être négatives. C’est le cas pour celles de Paco, un des personnages maudits, qui a perdu un membre de sa famille à cause d’une étrange sorcière. Lors de ce flash-back, on découvre une maison faite de bonbons perdue en pleine jungle. Après avoir osé goûter aux sucreries, la petite sœur de Paco disparaît dans la maison de la sorcière. L’onirisme est au centre de cette scène, à la fois par les couleurs éclatantes, par le rapport à l’espace distordu et par la fumée rose qui se dégage de la maisonnette.
Il arrive que certaines expériences spirituelles aient au contraire une fonction salvatrice. On peut notamment penser au deuil vécu par la mère de Koffi. C’est une scène visuellement très forte. Les couleurs sombres, l’eau qui monte, les regards des pleureuses et surtout la composition de la scène contribuent à son caractère dramatique. La façon intimiste dont les expressions faciales sont parfois filmées a d’ailleurs pour effet de nous rapprocher de ce que vivent les personnages.
En tant qu’artiste multidisciplinaire, Baloji a également mis à profit ses qualités de directeur artistique et de créateur de costumes de mode en habillant de nombreux personnages aux styles différents. Que ce soit pour la tenue des marabouts ou pour celles de la sœur de Koffi, Baloji use des couleurs vibrantes et de matières variées, magnifiant les corps. Cela contribue à l’esthétique léchée du film. Pour couronner le tout, le réalisateur a composé plusieurs musiques pour Augure, entre tradition et modernité. Finalement, si Baloji signifie « sorcier » en swahili, c’est parce que cet artiste est le véritable sorcier qui nous enchante par son conte empreint d’humanité. Un premier long métrage très réussi qui promet pour la suite.